L'acte de liberté de Raismond, esclave de l'Amérique
« Acte de liberté donnée par monseigneur le vicomte d’Ars à Pierre Laumont, nègre de l’Amérique, du 26 mai 1763 »
En 1751, l’esclave Raismond parvient en Saintonge. Il accompagne son maître, Léon-Alexis de Brémond, vicomte d’Ars, d’une vieille famille de noblesse médiévale de Saintonge, devenu lieutenant des vaisseaux du roi à La Trinité en Martinique en 1750. Ce chevalier, distingué de l’ordre royal et militaire de Saint-Louis, achève sa carrière et rentre dans sa région natale. Il tourne la page antillaise de sa vie professionnelle pour demeurer avec son épouse, Louise Faure de Fayolle, d’une grande famille d’Angoumois, au château, sur ses terres saintongeaises.
L’esclave Raismond est-il natif d’Afrique ? Venait-il de l’île de la Grenade sur laquelle le vicomte a acquis deux plantations ou de Martinique où il fait carrière dans la Marine ? Était-il un esclave de plantation ou un esclave de la gran’case ? L’itinéraire de Raismond demeure assez flou. Néanmoins, son séjour de près d’une douzaine d’années en France a été rythmé par un apprentissage de la cuisine et un baptême. Son séjour surprend. Jusque-là et conformément à l’ordonnance royale de 1738, les esclaves pouvaient demeurer en France trois ans maximum avant d’être renvoyés dans les colonies.
L’acte d’affranchissement de l’esclave Raismond conservé aux archives départementales de la Charente est une pièce d’une grande rareté dans les fonds notariés qui documentent le plus souvent la relation aux outre-mers essentiellement par des procurations. Cet acte montre combien les présences noires dans l’arrière-pays de Saintonge et d’Angoumois peuvent s’expliquer par les navettes professionnelles des grands officiers de la Marine qui rentrent au domaine après la campagne en mer ou outre-mer dans les régions de Cognac ou d’Angoulême.
L’établissement de cet acte chez le notaire cognaçais Bernard en 1763, à la fin de la Guerre de Sept-Ans, correspond à un moment où le ministre de la Marine Choiseul ordonne l’expulsion des esclaves présents dans le royaume de France pour recentrer l’empire colonial du royaume sur les Antilles après la perte de l’Amérique du Nord française. Le vicomte d’Ars choisit donc de libérer Raismond et de le rendre totalement libre de sa trajectoire de vie, c’est-à-dire de demeurer en métropole ou bien de retourner aux Antilles, d’autant qu’ayant séjourné plus de trois ans en France, il peut à ce titre solliciter un affranchissement. Par ailleurs retraité de la Marine depuis 1751, ayant quitté la Martinique, le vicomte vend ses plantations de l’île de la Grenade, passée souveraineté anglaise. Affranchir l’esclave Raismond est aussi un moyen pour le grand officier de solder un héritage antillais.
L’affranchissement conduit à une modification de l’appellation de l’esclave : à son prénom s’ajoute un nom de famille. L’esclave Raismond devient Pierre Laumont « ayant changé de nom lors du sacrement de confirmation ». Il est cuisinier, « s’étant très bien comporté pendant son séjour en France » depuis 1751.
L’acte d’affranchissement de Raismond conservé aux Archives départementales de la Charente témoigne donc de la réalité des présences noires dans les arrière-pays maritimes du royaume de France.
Pour aller plus loin...
Régent Frédéric, La France et ses esclaves, Paris, Arthème Fayard / Pluriel, 2010.
Temdaoui Jean-Christophe, "Présence noires et voisinage océan : l’arrière-pays de Saintonge-Angoumois (1716-1807)", Lumières, 35, p. 35-56.