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Le doyen des Archives a 910 ans

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Une charte pour le prieuré de Bouteville

Le doyen des archives se présente sous la forme d’un document plus large que haut, écrit sur parchemin (les bulbes pileux sont d’ailleurs encore visibles à l’œil nu) et muni d’un sceau (manquant) sur doubles lacs de cuir blanc fixés sur le repli, en bas à droite. La langue est le latin, et l’écriture la minuscule caroline, qui tire son nom du règne de Charlemagne durant lequel elle fut mise au point.

Tentons maintenant de percer la signification de ce document. Il s’agit d’une charte par laquelle l’évêque de Saintes concède de façon perpétuelle l’église Saint-Martial-de-Mirambeau (Charente-Maritime) au prieuré de Bouteville. Pour qui maîtrise encore les rudiments des chiffres romains enseignés à l’école, la date apparaît assez clairement, à l’avant-dernière ligne : M C XIIII, soit 1114.

La charte possède les attributs caractéristiques des actes de concession :

  • la titulature empreinte d’humilité de l’évêque (« moi, Regynald, par la grâce de Dieu évêque, malgré mon indignité, de l’église de Saintes »).
  • le dispositif imagé et plein d’emphase (la donation est « faite et posée sur l’autel de l’église » du prieuré).
  • la souscription qui comprend le signum manuel de l’évêque (la croix tracée de sa main) et une liste de témoins. Parmi ceux-ci, on trouve les dignitaires du chapitre de l’évêque : maître Itier d’Archambaud, l’archiprêtre Itier de Bouteville, le prêtre Raymond, neveu du précédent, le lévite et notaire de l’évêque Guillaume Géraud, ainsi que son scribe, Reynald, et les représentants du prieuré de Bouteville (le prieur Etienne, le moine sacristain Aymon et tous les moines).

La date de l’acte est introduite par la formule « Acta est haec cartula » (« cette charte a été donnée ») au début de l’avant-dernière ligne. De façon classique, la date se compose de plusieurs éléments :

  • l’année de l’ère chrétienne (1114), mais pas le mois, ni le jour.
  • l’épacte (23), un nombre affecté à chacune des années d’un cycle de 19 ans et indiquant l’âge de la lune au 22 mars.
  • la référence au pontificat (Pascal II) et au règne du roi de France (Louis VI) en cours. Plus locale est la référence à l’épiscopat de Girard, évêque d’Angoulême et par ailleurs légat du pape en Aquitaine, Gascogne et Bretagne.

Notons au passage que le roi de France n’est pas qualifié de « rex Francorum » (roi des Francs), formule habituelle des actes royaux, mais de « regnante in Galliis » (régnant dans les Gaules), renvoyant ici à un pur schéma administratif ecclésiastique, hérité de l’Empire romain.

Allô, le 21e siècle ?

En quoi est-il utile de conserver des documents de ce type ? Que nous apprennent-ils ? Essayons déjà de comprendre comment la charte du prieuré de Bouteville est parvenue jusqu’à nous.

L’ancien prieuré conventuel de Bouteville fut fondé vers 1025 à environ 600m au sud de l’emplacement des actuels vestiges du château, puis consacré en 1029 par l’archevêque de Bordeaux en présence des évêques de Périgueux et de Saintes. Sous la Révolution française, ses biens, y compris les archives, sont séquestrés. Les archives religieuses ainsi confisquées forment, avec les documents produits par les nouvelles administrations révolutionnaires, l’un des noyaux initiaux des Archives départementales créées en 1796. Ce sont aussi les archives les plus anciennes relatives au territoire de la Charente.

Au Moyen Âge, abbayes et monastères constituent des institutions incontournables et puissantes. Ces établissements se partagent la terre, avec les seigneurs laïques ou ecclésiastiques (comme l’évêque). La jouissance de différents droits sur les terres et biens immobiliers constitue une source de revenus importante et assure le développement des établissements. C’est également au sein des scriptoria (salles d’études) monastiques que s’enseignent la maîtrise de l’écrit et la transmission des textes anciens.  

La charte de Bouteville eut une importance cruciale pour les moines du prieuré, qui l’ont conservée précieusement, car c’était en quelque sorte un titre de propriété. Aujourd’hui, l’acte administratif de gestion est devenu un morceau du patrimoine local, témoin d’un passé qui n’existe plus mais qui a forgé le présent, conservé tout aussi précieusement par les Archives de la Charente, sous la cote 12 H 37. 

Pour aller plus loin, ne pas hésiter à consulter les inventaires des archives provenant des établissements religieux et du clergé séculier, disponibles sous la thématique Cultes et spiritualités.

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